Audrey Koenig, Directrice Générale de Natixis Wealth Management, la banque de gestion de fortune du Groupe BPCE
L'entretien
Natixis Wealth Management a pris deux engagements en faveur de deux causes qui lui tiennent à cœur : la mixité et l’éducation. Ce sont des sujets sur lesquels nous avons souhaité nous investir et pas uniquement financièrement. Nous avons décidé de nous investir nous aussi, en tant que collaborateurs de l’entreprise.
Dans le domaine du management, je pense qu’on a forcément, en tant qu’homme ou femme, une façon différente d’interagir avec les gens. Le fait d’être une femme m’a aidé en termes de sensibilité et d’acceptation, parce que manager, c’est aussi aimer les gens. C’est beaucoup de don de soi. Il faut savoir écouter, se rendre disponible mais aussi parfois être ferme et oser dire non. C’est plus compliqué de dire non que de dire oui mais quelle que soit la décision, il faut expliquer pourquoi. Donc si on n’aime pas les gens, c’est compliqué. Je ne sais pas si cette qualité-là est plus féminine que masculine, mais pour faire du management, il faut l’avoir.
Est-ce que j’aurais mieux réussi en tant qu’homme ? Je ne sais pas. Effectivement, certains univers sont encore très codifiés et les hommes y sont majoritaires. C’est le cas dans le secteur de la banque. Être une femme peut aussi représenter un avantage, parce que lorsque nous sommes peu nombreuses et performantes, tout s’accélère ! Et c’est tant mieux, parce qu’on a besoin de femmes à la tête de nos entreprises. En résumé, être une femme peut aussi être un facteur facilitant.
Pour moi, le leadership ne se décrète pas. Vous pouvez avoir un poste à responsabilités sans faire preuve de leadership pour autant (les exemples sont nombreux !). Le leadership, c’est savoir s’imposer, savoir se faire accepter et savoir se faire respecter. Mais c’est surtout montrer l’exemple, ce que j’ai toujours essayé de faire, car c’est ancré en moi. Au fil des années, j’ai appris une chose fondamentale : quand vous êtes dirigeant, vous êtes obligé de prendre des décisions qui ne font pas toujours l’unanimité et vous ne pouvez donc pas plaire à tout le monde. Pour ma part, j’essaie de prendre les décisions les plus justes possibles et de les assumer, même dans des cas compliqués, comme dans une de nos structures par exemple, où nous avons dû prendre des décisions socialement compliquées. J’ai tenu à voir les gens individuellement pour leur donner les raisons de ces choix et finalement j’ai entendu à plusieurs reprises : « vous nous expliquez pourquoi. La décision que vous avez prise nous paraît normale, tout dirigeant l’aurait prise ». Cela revient à être exemplaire, à avoir un peu de courage et assumer ses décisions en faisant preuve de leadership. Les gens ont envie de vous suivre quand vous avez ces valeurs, et c’est ce que j’essaie de transmettre à mes équipes. Malheureusement, je n’y parviens pas toujours, mais j’ai encore récemment croisé une collaboratrice qui m’a dit « avant d’arriver, j’ai regardé vos interviews et j’ai eu envie de venir pour vous et pour ce que vous incarnez !».
On sait tous qu’il y a encore des freins au changement et qu’il subsiste des codes de management fondés sur la distance, la hiérarchie, et que certains ont besoin d’avoir un peu d’autorité ou un peu d’autoritarisme pour affirmer leur pouvoir. Je pense pour ma part que ce n’est pas nécessaire, mais c’est compliqué et long à changer. Je prends un autre exemple : la transparence et la redescente de l’information. Nous avons multiplié les canaux de communication pour informer largement les collaborateurs (live sessions mensuelles, réunions d’information par équipes). Nous avons également créé un SharePoint où se trouvent beaucoup de données sur l’entreprise, avec transparence, notamment en ce qui concerne nos résultats. Avoir un collectif managérial aligné est un enjeu quotidien. Je suis convaincue que l’information doit circuler et que ce n’est pas parce qu’on a de l’information qu’on a le pouvoir.
La transparence est un attribut du leadership. Il y a bien entendu des sujets stratégiques qu’on ne peut pas forcément partager avec tout le monde, notamment lorsque des négociations sont en cours, car cela peut générer de l’anxiété. En revanche, je suis convaincue qu’il faut être transparent sur la situation de l’entreprise, sa trajectoire, les difficultés rencontrées, pour faire comprendre aux collaborateurs que l’on est tous embarqués dans le même projet et que ce n’est pas toujours aussi rapide qu’on l’espérait. Il faut également être lucide sur la situation de l’entreprise dans le marché et savoir reconnaître que certains concurrents sont parfois meilleurs dans certains domaines, pour identifier les points à améliorer.
J’ai toujours assumé le fait d’être une banquière femme, ce qui facilite les interactions avec nos clients qui sont majoritairement des hommes. J’ai souvent observé une rivalité entre les hommes, qui se concrétise dans leur rapport à l’argent. La rivalité entre femmes se matérialise différemment. Elles manquent parfois de cohésion et font moins preuve d’entraide que les hommes au sein des cercles de dirigeants mais entretiennent un rapport à l’argent très différent. Le leur est davantage collectif et mutualiste. Elles souhaitent gagner de l’argent pour le mettre au profit de leur famille et de leur environnement et l’argent n’est pas forcément synonyme de pouvoir pour elles, contrairement aux hommes. Nous ne sommes peut-être pas les meilleures négociatrices pour nous-mêmes, car il existe une sorte de tabou au sujet de l’argent. J’ai souvent eu des discussions avec mes amies sur leurs négociations de salaire. Il est vrai que la femme se met en général elle-même des freins, car elle a à cœur d’être au top niveau sur tous les plans, je le vois pour moi-même. J’observe parfois le même phénomène avec mes collaboratrices femmes, ce qui n’est pas normal.
Des doutes, on en a tout le temps ! Je pense que se remettre en question fait avancer. Je me suis pour ma part toujours remise en question en cherchant ce que je pouvais améliorer pour franchir la marche du dessus. Je ne me suis jamais dit « je serai Directrice Générale ». J’ai fait mon parcours en gravissant les échelons un à un. Chaque fois que j’avais un nouveau poste, je me demandais ce que je pouvais faire après. J’ai toujours exercé cet auto-challenge, parce que je suis très exigeante avec moi-même et cela peut être source de stress ! Je suis plus sereine aujourd’hui, car je réalise que les projets prennent toujours forme, même si ce n’est pas immédiat. Quand j’ai pris mon poste de Directrice Générale, j’ai aussi appris plein de choses. Ça aussi, c’est une caractéristique des femmes : elles n’osent pas forcément prendre certains postes par peur de ne pas avoir toutes les compétences requises, alors qu’il y a plein de choses que l’on apprend en faisant et les apprendre avant ne sert pas à grand-chose. Si l’on est bien entourée, curieuse et lucide sur son périmètre de compétence, on progresse toujours dans l’exercice de ses fonctions. C’est sain de se remettre en question face à un échec, de savoir pourquoi cela n’a pas fonctionné et de se demander comment faire mieux demain. Tout dirigeant connais des échecs et ses réussites, le tout est de les assumer et d’avoir plus de réussites que d’échecs!
Mon équilibre vie personnelle / vie professionnelle a été un sujet. J’ai eu mes enfants assez tard et l’un au moment d’une fusion. Je n’ai pas eu des congés maternité très longs à chaque fois, mais je l’ai bien vécu. Il y a plein de moments, d’occasions que l’on peut réserver à ses enfants. Le week-end, je vais voir avec mon fils ses matchs de foot. Il faut le faire comme on le sent, je ne force jamais personne. Je respecte le choix des femmes qui veulent profiter de leur congé maternité et prendre un congé parental. Pour ma part j’ai fait le choix de toujours rester en lien avec l’entreprise et d’avoir deux enfants qui me paraissent très équilibrés et avec qui j’ai de vrais échanges. Après, chacun mène sa carrière comme il l’entend et place le curseur en fonction de ses envies.
Je trouve que globalement les femmes se mettent beaucoup de freins. J’ai eu plusieurs fois des discussions avec des jeunes femmes qui me disaient « non, je ne vais pas prendre tel poste parce que je viens d’avoir mes enfants ». Je leur demandais si elles étaient seules et leur disais aussi que tout ça s’organise, parce que dans un couple on est deux à avoir des enfants et c’est au couple de faire des efforts. Selon les soirs, on peut quitter le bureau plus tôt ou a contrario se consacrer à son travail et se répartir les journées pour que l’un ou l’autre voyage. Souvent, la femme propose de prendre le quotidien en charge. En tant que femme, il faut aussi se fixer soi-même des ambitions professionnelles et de réussite sans quoi on met un frein à sa carrière professionnelle et il me semble que les femmes ont trop tendance à ça. Comme elles ont souvent tendance à prendre des postes de réflexion, de rédaction plutôt que des fonctions plus exposées, comme banquier privé, avec des objectifs commerciaux.
J’ai la conviction qu’en tant que femme, « on a un travail à faire sur soi ». Je mets cela « entre guillemets » justement pour dépasser ça. Je l’ai vécu au fil des années. Mieux se connaître et comprendre quelles sont nos limites. Comprendre aussi à quel point le regard de l’autre est important, mais que ce n’est pas forcément cela qui nous fait avancer.
Avec l’âge et les épreuves, il y a plein de choses que j’ai changées. Notamment l’impact du regard des autres sur moi, qui est moins prégnant aujourd’hui qu’auparavant. J’avais du mal à accepter la critique, alors que c’est davantage le cas maintenant, surtout lorsqu’elle est constructive. J’accepte mieux également de ne pas plaire à tout le monde. Par exemple, avant, je me justifiais et essayais de convaincre les personnes qui n’étaient pas d’accord avec moi, alors que maintenant, j’assume mes décisions et accepte que tout le monde ne soit pas forcément totalement d’accord avec moi. Je me suis beaucoup battue pour obtenir ce que j’ai et la place que je me suis faite. A un moment j‘ai réalisé que j’étais trop dans le conflit et j’ai baissé les armes. Il y a des combats que je n’ai plus envie de mener et je suis moins frontale qu’avant, plus en rondeur, peut-être plus de féminine ?
Je pense qu’on peut tout mener de front et que l’être humain a une capacité d’absorption importante, même si nous n’avons pas tous le même caractère ni la même résistance. C’est une question d’organisation une fois de plus. S’aménager du temps pour soi et pour ses enfants le cas échéant. Cela se cale dans l’agenda et demande un peu de rigueur. Effectivement, il y a toujours de multiples raisons pour ne pas le faire, mais je pense qu’il faut tenir ses engagements. Je prends un exemple : tous les mercredis de 7h15 à 8h15, je fais du sport. Bien souvent on me demande si je suis disponible à ce moment-là et je refuse. Je sais très bien que ce jour-là je ne peux rien planifier avant 09h30. A contrario, j’ai des amplitudes horaires qui sont assez larges les autres jours. On peut beaucoup travailler tout en priorisant le rendez-vous avec la maîtresse, même à 17h le jeudi. Je sais que plein de maman sont angoissées par rapport à cela, alors que je l’assume pour ma part. Le télétravail offre plus de liberté en termes d’organisation et permet de s’adapter aux contraintes de chacun, qu’elles soient d’ordre médicales, personnelles ou familiales. Si à côté de ça le travail est fait et l’implication est au rendez-vous, je n’ai pas de sujet avec ça. Il y a beaucoup de femmes qui estiment qu’elles doivent choisir, en se persuadant qu’elles doivent arbitrer entre leur vie de famille ou la promotion qu’on leur propose, parce qu’elles ont des enfants en bas- âge. Cela se gère. On s’adapte et l’organisation se met en place en fonction de la vie que l’on choisit de mener.
Toutes les entreprises ont progressé sur la notion de liberté / flexibilité avec le télétravail. Cela ne veut pas dire qu’on travaille moins, on travaille différemment, mais il faut que l’autonomie soit tout de même cadrée et rentable pour l’entreprise. Il faut par ailleurs maintenir le lien avec une communauté. Ce qui me fait un peu peur dans le télétravail ou le flex office, c’est qu’on a créé une sorte distance entre le collaborateur et l’entreprise, alors que ce lien social est important quand on veut mener un projet collectif. J’espère que les prochaines années seront synonymes d’un retour à l’équilibre après le passage de zéro à 100% télétravail. Nous avons tous besoin d’appartenir à un quartier, une communauté, un groupe d’amis.
Internet casse les codes et il est plus facile aujourd’hui d’accéder à certaines fonctions sans être issu d’un milieu social aisé. La diversité apporte beaucoup à une entreprise et il y a encore des progrès à faire, notamment dans le secteur de la banque.
Les réseaux sociaux quant à eux peuvent donner la fausse idée que la réussite est facile avec ce côté « j’ai tant de followers, tu as vu ? Elle est hyper connue, connectée et célèbre ». Ils peuvent véhiculer une image de facilité alors que derrière, il y a souvent un travail colossal. La vie est dure et réussir l’est donc aussi. J’insiste beaucoup auprès de mes enfants sur l’investissement personnel, le goût de l’effort et de l’apprentissage et j’espère que les réseaux sociaux ne leur enlèveront pas cela.
En conclusion, le conseil que je pourrais donner aux femmes, c’est d’avoir un mode de gouvernance qui leur est propre. J’ai souvent vu des femmes qui avaient réussi, qui s’étaient énormément endurcies et qui parfois utilisaient des codes masculins de façon exacerbée. Une entreprise est riche des profils qu’elle accueille. Lorsqu’on a la chance d’accéder à des postes à responsabilité, c’est justement pour faire bouger un peu les lignes, pour insuffler un mode de management différent et, surtout, pour faire en sorte que la diversité et la mixité émergent. Donc voilà, si vous avez les moyens de le faire, essayez de le faire !